Une idiote au travail (13)

Publié le par arille

Il était une fois trois gazelles un peu trop rondes pour leur nature de gazelles. Elles eurent l’idée de former un club, le club des gazelles. Pour y entrer, pas de frais d’admission, une seule condition : avoir plus de dix kilos à perdre. L’objectif du club était d’aider ses gazelles à s’épanouir et à perdre du poids.

Le club, en ce qui concerne l’épanouissement de ses membres, fonctionna à merveille. Nous nous réunissions toutes les semaines le matin devant un café. Nous prenions notre cahier et nous notions le poids des gazelles et les événements marquants, ainsi que les objectifs de la semaine d’après. Nous avions droit à un joker une fois par mois, le jour où nous n’avions pas du tout envie de dire notre poids. Une fois que nous avions expédié cette formalité, nous abordions les sujets plus sérieux. Les marques de crème anti-ride, les concerts et pièces de théâtre les plus passionnants, les projets les plus fous auxquels nous rêvions.

Un jour, une des gazelles exprima le souhait de sauter en parachute. Comme mon père, cette semaine-là, faisait un stage de parachutisme, l’idée se concrétisa très vite. Ma chère gazelle sauta en premier. J’éprouvai quant à moi un sentiment extrême d'euphorie pendant la chute libre.
Ce sentiment dure depuis.

L'autre gazelle exprima le souhait de faire un spectacle à l’occasion de son anniversaire. Je me mis à écrire l’histoire du club des gazelles et nous répétâmes l’histoire de trois nanas qui pesaient à elles trois 500 kilos au début de la pièce… Nous jouâmes devant des amis, presque une centaine. Un succès de poids...


En ce qui me concernait, je perdais régulièrement du poids. Un jour, il devint évident que je n’avais plus beaucoup de kilos à perdre. Est-ce pour cela que je fus virée du club ? Je me privais trop facilement de gâteaux et de sucreries. J’agaçais les gazelles.


Mais la vraie raison, je la connus un an et demi plus tard. Car la gazelle avec qui j’avais sauté en parachute travaillait dans le même bureau que moi. Il se trouva qu’on me proposa un poste intéressant qu’on aurait normalement dû lui proposer à elle, qui était à ce poste depuis plus longtemps que moi.  Nous continuâmes à travailler ensemble mais le cœur n’y était plus. J’avais réussi, du moins je le croyais, à persuader mon patron et la gazelle que nous travaillerions en équipe. Mais elle se sentait flouée. Je sentais qu’elle m’en voulait, mais je ne comprenais pas ce que j’avais pu bien faire pour cela. Elle me l’expliqua bien des mois plus tard, dans la rue, un mois de novembre.


Elle me dit qu’elle regrettait beaucoup mon amitié et le club des gazelles. Je lui répondis que moi aussi. Elle me dit qu’un jour, pour elle, j’avais trahi sa confiance. Je ne voyais pas comment. J’ai toujours dit du bien d’elle, à mes collègues comme à mes chefs. Elle me rappela alors la scène suivante, qui remontait à presque deux ans. Le jour où mon patron me proposa le poste que j’occupe aujourd’hui, il me demanda, après l’entretien, de n’en parler à personne. Un peu ennuyée par cette demande, je revins au bureau en réfléchissant à la façon dont j’allais gérer cela, quand une fille du bureau très perverse se pointa devant moi et me demanda si j’allais accepter le poste. Je lui répondis que ma collègue n’était pas au courant. La gazelle était là et se sentit immédiatement trahie. Définitivement trahie par moi qui ne lui en avait pas parlé immédiatement.
Mais je ne le sus que des mois plus tard.


Je compris que rien de ce que je pourrais dire ne changerait ce sentiment de trahison. Elle m’expliqua qu’elle regrettait, moi aussi je regrettais. En réalité je regrettais surtout sa façon de prendre les choses, mais pas au point de pleurer ou de la supplier, comme je l’aurais sans doute fait avec un enfant ou un amoureux.
Nous nous quittâmes là, toutes vérités dites.

Tout cela parce que, ce jour-là, j'ai bêtement obéi à mon chef tandis que lui-même ne réussissait même pas à tenir le silence qu’il me demandait…

 

 

Publié dans Papilles

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