Candide au royaume de Raskozy

Publié le par Lionel

Il était une fois, dans la merveilleuse contrée de France, un jeune homme doté d’un esprit aussi mûr que son âge semblait l’indiquer. On l’appelait souvent Candide. Il habitait un royaume onirique et tous les états voisins jalousaient leur ennemi puissant car celui-ci possédait autant de sorte de fromages que d’habitants. Ce divin Etat Français était gouverné par le roi Raskozy, grand homme de sa nation, qui collectionnait les aventures amoureuses pour masquer ses déboires politiques. Parmi les scintillantes villes françaises, la plus remarquable était sans doute la capitale, ne serait-que grâce à l’avenue très grande qui la traversait pour mener à un petit bâtiment jaune, dressé là pour manifester le triomphe et le rayonnement du pays.

 

Candide vivait justement dans cette ville féérique, non loin de la propriété qu’habitait son mentor Pangloss. Celui-ci se vantait d’être philosophe car on l’entendait souvent à la radio et il s’affichait bien des fois à la télévision pour affirmer ce que le peuple voulait entendre sans oser le demander. Le premier jour du printemps, alors qu’il rentrait chez lui après s’être fait optimisé par le penseur Pangloss, notre jeune héros, la tête en l’air, les pensées au vent, buta contre un maigre baluchon. Se détournant un instant du meilleur des mondes possibles, Candide, baissant le regard, observa quelques sacs qui jonchaient le trottoir. Un chien endormi soulageait sa vessie sur l’un d’eux. L’animal semblait tenir en laisse une vieille dame, car celle-ci le regardait avec admiration et semblait lui vouer une obéissance sans limite. Voyant cela, un jeune homme affolé accourut, criant d’un accent à fait pâlir un partisan du Flan National et pestant contre l’animal qui alla, l’air méprisant, promener sa vieille ailleurs.

 

« Eh bien mon brave, un déménagement serait-il la cause de ce désordre ? » Lança Candide

 

« Il est bien vrai que je quitte mon foyer, soupira le jeune homme, mais il m’est impossible de dire si je trouverais un nouvel habitat, car voyez-vous, je fus en quelque sorte éconduit de chez moi. »

 

« Comment ? Qu’avez-vous donc fait à la nature pour vous trouver dans la situation qui est la vôtre ? »

 

« C’est une longue histoire, répondit l’homme, résigné. Il se trouve que je n’eus pas la fortune de vivre dans une famille bien riche. Rendez-vous compte que je naquis au Trajinistan, fils d’un vendeur de maillots de bain pour dames et d’une mère- burka. Or le commerce de mon père fit faillite, tant l’extrémisme en vigueur obligeait la gente féminine au port de vêtements couvrants, voire recouvrants. La guerre éclata comme une bombe alors que je n’avais pas trois ans et mon père, qui s’était reconverti dans le fructueux domaine de la construction d’avions en papier géants, me lança si fort que j’atterris dans votre beau pays.

 

Là, au milieu des égouts et des poubelles, je vécus avec une meute de rats une partie de mon enfance. Je connus la peste, la galle, la varicelle, la pneumonie, le cancer, l’otite, le paludisme, le sida, les endives, le chikungunya, la grippe aviaire ; je connus la morsure du grand froid, la brûlure du soleil ; j’appris néanmoins à survivre. Ce n’est que récemment que ma destinée croisa celle d’un vieillard mourant, qui me fournit nourriture et logis. Cependant le vieillard décéda peu de temps après et légua sa fortune à son honorable chat.

 

Connaissant bien les recoins du sous-sol parisien, je trouvai rapidement un métier car on cherchait des égoutiers. Je pus alors louer un petit appartement douillet. Cependant, ma chance s’enfuit sans raison et je fus obligé de quitter mon emploi car on m’accusait de faciliter la prolifération des rats. N’ayant plus le sou cet hiver pour apaiser l’appétit financier de mon bailleur ni de mon estomac, je fus contraint de dévorer mes compagnons d’enfance, mes chers rats. Le propriétaire aurait bien voulu m’expulser mais notre bonne et grande justice stipule que l’on ne peut être exproprié durant l’hiver. Nous voilà cependant en Mars et, cette brève solidaire expirée, je me retrouve dehors sans logis. »

 

« Quelle horrible histoire ! » S’exclama Candide. « Si infortuné que vous soyez, vous voilà encore condamné à souffrir un autre malheur ! »

 

Pendant que le jeune homme relatait les méandres de sa vie misérable, le bruit avait enflé que le plus respectable de nos citoyens s’était marié avec une femme fraîche et appétissante.

 

« Ecrasons l’infâme ! » reprit un Candide excité, qui se proposait de s'entretenir rudement avec l’horrible propriétaire. Par hasard, celui-ci, qui roulait dans le quartier, s’était arrêté au niveau des deux compères pour voir de quelle affaire il s’agissait. L’homme, qui se nommait Boutelin, descendit de son scintillant carrosse dont l’intérieur en bec de faucon miroitait sous la carrosserie incrustée de canines de panda. Notre candide héros, qui n’avait jamais vu pareille voiture de luxe, la considéra si longuement que son ire diminua. Il est de fait difficile de rester en colère contre quelqu’un que l’on admire. Le riche fortuné avait en effet tout ce dont pouvait rêver un homme : une belle voiture, une coupe de cheveux à la mode et une barbe drue et sombre.

 

« Ne devais-tu pas déjà avoir quitté les lieux ? » Demanda-t-il au jeune homme.

« Oui, tout de suite, Monsieur. », s’écrasa-t-il en récupérant ses affaires.

 

« Comment pouvez-vous être si inhumain, jusqu’à renvoyer un honnête citoyen de son unique foyer ? » S’indigna Candide.

 

« Inhumain, dites-vous ? Demandez-vous, cher effronté, ce qui nous distingue de l’état animal. Il me semble que c’est un ensemble de règles qui nous permet de ne pas nous entretuer comme de vulgaires rats ! Or comprenez que la loi humaine m’interdit de renvoyer quelqu’un pendant l’hiver, c’est donc qu’elle me l’autorise le reste de l’année… »

 

« Je n’y avais pas pensé », songea Candide.

 

« Vous avez sûrement ouï l’annonce du mariage de notre premier homme de France avec la plus belle femme du royaume. Ne croyez-vous pas qu’une demoiselle d’une telle magnificence ne choisisse un mari en fonction de son pouvoir ? Non, ce serait trop futile. Elle l’a choisi pour sa gentillesse. Monsieur Raskozy est donc un bon et honnête homme. Et quel homme aussi bon autoriserait quelque chose de mal ? Aucun ! »

 

« Il a raison ! », balbutia Candide, bouche bée.

 

« Sachez d’autre part que je n’eus pas la malveillance de lui annoncer la triste nouvelle à l’avance. Ce n’est que ce matin que j’appris à ce métèque son exclusion de sorte qu’il n’eut pas à se soucier de cette affaire avant l’heure. »

 

« J’étais dans la plus innocente erreur ! » S’exclama l’ingénu. « Mais ce pauvre homme, que va-t-il devenir ? »

 

« Aurais-je prononcé triste nouvelle ? Je voulais pourtant dire que c’était une excellente chose. Comment, vous ne devinez pas ? Sans foyer, fi d’attache, fi de contrainte. Notre homme n’a pas à rentrer chez lui le soir ! Il peut migrer où son désir le porte. Que ferait un homme comme vous ou moi si l’envie nous prenait d’aller dormir dehors ? Rien évidemment, si ce n’est de refouler cette idée au plus profond de nous. Mais notre bon étranger, lui, peut faire à sa guise ! Il peut perdre tout contact avec la société ( et Dieu sait qu’elle est néfaste), se retirer de toute civilisation, vivre seul, sans besoin ! Tout seul ; la Nature, entière, pour lui !

 

« C’est magnifique ! » S’émerveilla candide. « Tout  bonnement admirable ! »

 

Après cette longue conversation, l’habile propriétaire, qui avait d’autres pauvres gens à rendre libres, laissa Candide sur le bord de la chaussée. Le jeune étranger s’en était déjà allé, tandis que notre esprit chétif marchait vers de nouvelles mésaventures. Il pensait que cela était dans l’ordre des choses. En effet, chacun trouvait son compte : le propriétaire pourrait installer des nouveaux locataires et notre émigré pourrait vivre comme lui seul l’entendait, gratuitement. Candide ne se doutait pas que les rats survivants de la meute venaient de se venger et il pensait alors que Maître Pangloss disait bien vrai : tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

Ecrit par Lionel Moulis sur une invite de son prof de français.

Publié dans Intrus

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