Une idiote au travail (7)

Publié le par arille

Association de malfaiteurs

L’envie de me sentir utile me titillait alors que j’étais au chômage. Je lisais les petites annonces comme un chercheur d’or qui espère sa pépite, avec une avidité joyeuse. J'étais sûre qu'un seul petit carré de texte pouvait changer ma vie. Un jour, je tombai sur l’annonce d’une société en création qui cherchait son chargé de communication. Enfin un job pour moi ! J'imaginais toute la créativité que je pourrais développer ! Je pris rendez-vous et me pointai toute joyeuse dans un vêtement rouge assorti à mon rouge à lèvres. Je me sentais pimpante et j’étais sûre qu’on me confierait le travail. Ce fût le cas. Le créateur de l’entreprise était un baroudeur direct et enthousiaste. La seule chose qui me fit tiquer était qu’il était habillé en noir et marron. Ca lui donnait un air gangster. Et aussi, il me donna rendez-vous dans un café louche rue Gabriel Peri. Mais j’avais tellement envie de travailler que je passai outre ces diverses impressions en me traitant de bourgeoise. Il me proposa de travailler au noir. J’acceptai. J’avais envie de travailler, vite. C’est là que les escrocs sont forts. Ils vous appâtent puis quand ils ont obtenu ce qu’ils voulaient, ils se sauvent. Vous, vous  avez juste comblé votre envie de travailler. Au fond chacun a quelque chose. C’est sans doute pourquoi les petits escrocs de ce type ne se font pas pincer. Qui irait voir  l’inspection du travail en pleurant de ne pas avoir été payé pour un travail au noir ? Pourtant, tout travail mérite salaire !

 

Je trouvai un nom, un logo, des clients, fit une étude de marché pour cette petite société. Tout plaisait au créateur, mais ne pouvais-je pas approfondir ceci, puis cela… J’approfondis. Au bout de trois semaines, je lui remis mon travail et en attendis vainement les fruits. Injoignable, celui qui s'habillait de marron et noir s’était évanoui comme un chat dans les égouts. Je me retrouvai bête avec mon joli book assorti à mon joli pull maxi assorti à mon joli rouge à lèvres. Jolie et bête, j’ai éprouvé le besoin de marcher longtemps en balançant au bout de mon bras le joli book que j’avais bien envie de jeter dans la première poubelle venue. Je ne pouvais me plaindre de rien. Je m’étais crue futée en acceptant de travailler au noir et j’en voyais les résultats !  Cela ne m’arriverait plus ! Je me le jurai ! Mais cela m’arriva encore malgré moi…

 

Quelques mois plus tard, toujours tenaillée par cette étrange envie de travailler, je répondis à l’annonce d’une société d’études reconnue sur la place de Toulouse, Khi 2. Son nom m’inspira immédiatement confiance parce que Khi 2 est le nom d’un test technique de fiabilité des résultats en probabilité. Reçue en entretien, on me confia  la synthèse d’une réunion de groupe de quatre heures. Cela représentait le travail de plusieurs jours. Il fallait écouter la cassette vidéo et commencer par noter tout le verbatim, c'est-à-dire tout ce que chacun disait, même les interjections. Il fallait donc arrêter l’enregistrement, le remettre, écrire, recommencer. Tout cela pour avoir une liasse de feuillets informes qu’il fallait taper et bien présenter. Puis il fallait rédiger la synthèse. Comme j’avais envie de ce boulot, je soignai le travail. Khi 2 comptait bien là-dessus. Je remis très vite ma synthèse mais on ne me rappela jamais. Je fus déçue, mais j'étais si habituée aux recherches infructueuses que j’oubliai très vite l’incident. Jusqu’au jour où il m’arriva lors d’une réunion, de rencontrer deux autres filles qui, comme moi, « avaient failli travailler chez Khi 2 ». La même mésaventure leur était arrivée. Les autres y avaient même passé une semaine entière. Ainsi, la société d’études la plus connue et réputée de Toulouse faisait faire ses synthèses non seulement au noir mais aussi sans payer... des filles désireuses de travailler et surement plus acharnée à la tâche que ses propres salariés…

 

Récemment, les voisins de ma mère qui sont dans la restauration ont travaillé au noir et n’ont pas été payés. Ils ont pensé que le patron avaient profité d’eux parce qu’ils sont homosexuels.  On cherche toujours une raison en soi quand on s’est fait avoir. Mais c’est en vain. Un salaud est un salaud, c’est la seule morale de ce genre d’affaires. Etonnamment, les voisins ont eu le culot, eux, d’aller voir l’inspection du travail.  Où on les a encouragé à parler.

Information de dernière minute : menacé par les voisins d'alerter l'inspection du travail, le vilain patron a casqué en envoyant un chèque, inférieur de moitié à ce qui était convenu toutefois. Les voisins n'en resteront pas là, ils veulent ce qui étaient convenu... Car ce n’est pas parce qu’on travaille au noir qu’on n’a aucun droit.


Il faut le savoir et le faire savoir.

Publié dans Révélations

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